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“Retour à Little Wing” : ode aux amis, aux amours, aux emmerdes

A l’occasion de la nuit de la lecture, qui se tient en réalité du 21 au 24 janvier (et dont je vous invite à éplucher le programme sur https://nuitdelalecture.culture.gouv.fr/) j’ai eu envie non seulement de vous proposer une rapide chronique littéraire sur un de mes coups de cœur, mais aussi d’aborder une thématique qui ne m’est pas seulement chère, mais qui me définit et façonne ma personnalité.

Ceux qui me connaissent bien vous le diront, je suis quelqu’un d’extrêmement nostalgique ; certains pensent que cela est étroitement lié à mes origines slaves, population mélancolique et romantique s’il en est. D’autres diront que c’est le schéma familial atypique dans lequel je me suis construite qui est à l’origine de ce trait de caractère. Quelle qu’en soit la raison, il est vrai que je suis d’avantage tournée vers le passé que capable de savourer l’instant présent. En découvrant Little Wing, le premier roman de Nickolas Butler, je me suis interrogée sur les raisons qui nous poussent à regretter les instants de notre enfance pendant lesquels on nourrit pourtant l’envie furieuse de s’en émanciper et de prendre notre envol vers d’autres horizons. Car qui a passé son enfance dans une petite ville de province, aura probablement une sensation de déjà vu en lisant Retour à Little Wing. A mi-chemin entre madeleine de Proust et jugement dernier, ce roman décrit avec justesse le sentiment de légitimité qu’on éprouve en retournant sur les endroits marquants de notre enfance ; si la sensation de venir compléter un tout auquel on appartient est très forte, on peut aussi se sentir en décalage, par rapport aux souvenirs fantasmés de ces lieux ordinaires qu’on pensait pouvoir peindre les yeux fermés. Est-ce la perte du confort d’un environnement ultra familier (et qu’on passe ensuite sa vie à tenter de retrouver) qui nous attriste, ou bien le fait de tomber dans l’anonymat inhérent aux grandes villes lorsqu’on a longtemps été identifié et indispensable au sein d’un groupe ? Venez trouver une amorce de réponse dans ce premier ouvrage signé Nickolas Butler.


Ils sont quatre amis : Kip, Hank, Lee et Ronny, et ont passé leur enfance à faire les 400 coups dans ce village perdu au fond du Wisconsin. Little Wing, un lieu hors du temps, où tout le monde se connait ; le genre d’endroit contre lequel on peste adolescent car rien ne s’y produit, et qu’on passe ensuite le restant de sa vie à regretter ; Little Wing, un écrin temporel qui préserve à jamais une époque bénie où tout était encore possible, où les rêves n’avaient comme limite que celle de l’imagination de nos protagonistes.

Aujourd’hui, à l’occasion du mariage de Kip, les quatre amis bien ancrés dans leur trentaine, se retrouvent dans ce lieu ou presque rien n’a changé, à part eux, et dressent implicitement un premier bilan de leurs vies respectives. L’innocence de l’enfance disparue et leurs chemins de vie très différents vont les confronter à des divergences d’opinions et de valeurs, qui vont mettre à mal la fraternité et la loyauté les unissant jusqu’à lors.

Lee est un peu le super-héros du groupe : passionné de musique depuis toujours, il a réussi à faire carrière dans le milieu de la chanson, et connait une notoriété internationale qui lui permet de parcourir les quatre coins du globe. Little Wing est son repaire, un lieu sûr et salvateur, lui permettant de s’émanciper le temps de ses visites de cette vie à deux-cents à l’heure que lui impose son statut de super star. Et ses amis, qui considèrent l’homme et non le personnage public, sont son bien le plus précieux.

Kip lui est de retour à Little Wing après neuf ans passés à Chicago comme courtier à la bourse de marchandises. Il a racheté le complexe désaffecté de la fabrique du centre-ville avec son gigantesque silo emblématique de six étages, laissé à l’abandon depuis les années 80. Son mariage avec Felicia, une très belle jeune femme rencontrer sur son ancien lieu de travail, est le point de départ de ces retrouvailles dans la ville natale de ce petit groupe d’amis.

Ronny, anciennement le tombeur de la bande, a connu le destin le plus « tragique » : ayant quitté l’école pour se consacrer à sa passion, le rodéo, son début de carrière lui a donné raison, faisant de lui une star locale adulée et respectée. Mais un bête accident lié à l’alcoolisme, provoquant un épanchement sanguin au niveau de son cerveau, va définitivement transformer le jeune homme : sa condition l’oblige à renoncer au rodéo, et son absence de qualification limite drastiquement les opportunités professionnelles potentielles. Ronny se retrouve bien malgré lui a être financièrement assisté par son ami Lee, lequel subvient bien volontiers à ses besoins du quotidien.

Hank est des quatre personnages le plus posé, et d’apparence le plus serein : lui n’a jamais quitté Little Wing, il y est devenu fermier, a épousé son amour de jeunesse, Beth, avec qui il a fondé une famille. Ses valeurs sont fortes : amitié, loyauté, fidélité. Il se contente des plaisirs simples de la vie. C’est un terrien au sens noble du terme ; les pieds et les idées bien ancrées, il est l’élément pivot sur lequel repose tous les autres, la valeur sûre du groupe, le soutien indéfectible, le lien qui unit non seulement les protagonistes entre eux, mais aussi le passé avec le présent. Le roman commence d’ailleurs sur sa narration.

Sans trop spoiler l’histoire pour ceux qui ne l’auraient pas lu, le roman est construit en chorale : chaque chapitre est narré du point de vue d’un des personnages, et on explore ainsi les opinions de chacun, les histories de chacun, les embûches de chacun qui font la particularité de leurs chemins de vie respectifs. Point commun à tous ces récits, l’amour et la bienveillance à la fois pour ce lieu, Little Wing, qui a façonné et vu grandir ses enfants, mais aussi des amis entre eux ; telle une mécanique bien huilée, la position de chacun au sein du groupe est déterminée selon celle des autres, et cette symbiose se nourrit d’un soutien indéfectible et réciproque, qui fait la beauté de l’amitié, pour ne pas dire de la fraternité. On referme le bouquin le sourire aux lèvres, habité d’une énergie nouvelle et d’un optimisme regonflé, comme après avoir refait le monde autour d’un bon verre de vin, avec un ami d’enfance perdu de vue depuis pas mal de temps.

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