Fin septembre 2020 ; je retrouve Caroline dans la rue de Bretagne, au sud de République. Nous avons rendez-vous avez Mathias Malzieu du groupe Dionysos, pour une interview écoresponsable de notre cru.
Le quartier est sympa, assez végétalisé. Malgré la crise sanitaire, les gens déambulent presque comme si de rien n’était, à l’exception du fait d’être masqués. Il fait très chaud pour la saison ; la bruine du matin à laissé place à un franc soleil, et l’atmosphère ainsi saturée semble presque tropicale. Nous arrivons à un angle de rue, passons devant un parking d’un autre temps et pénétrons dans l’immeuble de Mathias. Nous nous engouffrons dans un minuscule ascenseur taillé le long de la cage d’escalier et arrivons enfin sur son palier.

Lorsqu’il nous ouvre, nous découvrons un intérieur parfaitement à l’image du personnage ; une joyeuse cacophonie d’objets bariolés, une esthétique chaotique comme autant de projets artistiques menés simultanément et laissés en stand-by, des pyramides de bouquins – dont les siens qu’il dédicace avant de les envoyer à ses lecteurs, et ses fameuses « skatagères amovibles » lui permettant tantôt de se déplacer dans Paris, tantôt de les réintégrer au mur et d’y apposer ses livres.
Derrière lui, Daria Nelson, sa plus que muse comme il aime à la surnommer, fini de se préparer pour un rendez-vous ; elle arbore un look étonnant dont on ne saurait dire s’il est d’inspiration country ou seventies. La belle quitte finalement les lieux, nous saluant et nous souhaitant un bon tournage.
L’installation ne nous prend que quelques minutes ; nous filmons en matériel très léger. Pendant ce temps Mathias prend place dans son fauteuil-œuf fétiche qu’il aime à utiliser pour la majorité de ses interviews. Il pose quelques accords sur son Ukulélé en nous suggérant de l’intégrer dans l’introduction de notre vidéo ; cet instrument est un raccourci intéressant de son histoire et de sa démarche écologique : « Ceci est un Ukulélé écoresponsable ; il a été fabriqué en 1958 à Hawaii, dans du bois de Koa, aujourd’hui parfaitement interdit d’exploitation pour la fabrication d’instruments ou de planches de surf ». Mathias est un passionné de sports de glisse ; il a chez lui près de 11 skateboards, et tous sont imprégnés d’une très forte valeur sentimentale, d’où le fait qu’ils aient trouvé leur place sur son mur.
Son récit débute dans l’océan ; sa prise de conscience écologique concrète vient de sa pratique du surf. Adolescent, il s’ébroue des heures durant dans les rouleaux cristallins de la mer ; le champ des possibles y est ouvert à l’infini, et sa plénitude est complète. Au moment de réintégrer la terre ferme, il se désole de découvrir sa plage souillée des déchets de ceux qui s’y sont installés. En réalité, cette conscience écologique il l’avait déjà en lui, mais sans se la formuler ; élevé dans un village de la Drôme, accompagnant ses parents à la ferme pour acheter des œufs et des produits laitiers, ayant pour job étudiant des emplois saisonniers agricoles et donc au plus près de la nature, son écoresponsabilité était de fait inscrite dans son ADN. Mais cet épisode sur la plage à provoqué en lui une réaction épidermique, qu’il expérimentait pour la première fois. Aujourd’hui citadin, il s’échine à garder une ligne de conduite en accord avec ses valeurs ; à commencer par ses déplacements.
Mathias sillonne Paris en skate ou à vélo électrique, et il adore ça ! Il s’est émancipé de cette vie à cent à l’heure qui semble pourtant être la seule option possible dans cette effervescente capitale. Non, lui préfère inclure une marge dans son emploi du temps qui lui permet de vivre ses trajets comme il l’entend, plutôt que de les subir ; un temps pour lui ou il peut non seulement se faire du bien physiquement, mais aussi booster son égo lorsqu’il calcule les calories consommées, et surtout les émissions de CO2 épargnées. Cette capacité à savoir profiter du temps ralenti lui vient d’un épisode étonnant de sa vie : Il y a 6 ans, Mathias subit une greffe de moelle osseuse selon un procédé particulier ; on a utilisé pour ce faire les cellules souches d’un cordon ombilical d’une femme qui a accouché en 1999 à Düsseldorf. S’il est impossible d’obtenir l’identité d’un donneur en France, la démarche est facilitée chez nos voisins allemands sous réserve du consentement dudit donneur. Lorsqu’on communique à Mathias les coordonnées de cette femme, il entreprend de la rejoindre à vélo, embarquant avec lui un exemplaire unique d’un vinyle pressé pour l’occasion et qu’il compte bien lui offrir en témoignage de sa gratitude : « et là, j’étais dans le temps ralenti, à ne plus voir d’êtres humains pendant parfois quatre ou cinq heures ; juste des éoliennes, des lignes à hautes tension, des champs, et le Grand Rien… ». Ce contact permanent avec la nature, l’acceptation de ce temps ralenti, Mathias en philosophe des temps modernes l’a baptisé la patrie des ruisseaux : « A partir du moment ou tu te prends le temps, tu te mets à consommer moins, à te suffire du moins. Et si tout le monde fait ça, on décongestionne les problèmes ».
Son action écoresponsable le suit jusqu’à dans ses gestes du quotidien ; de sa consommation alimentaire qu’il veut bio, locale et flexitarienne ; à celle de l’eau, se limitant à de rapides douches quotidiennes, même si la tentation d’un bain après une journée bien chargée est forte. Le plastique a également été banni de ses habitudes, lui substituant le tote bag pour ses courses, et la gourde pour son hydratation. Cette surconsommation du plastique, ce sont les Shaka Ponk qui lui en ont fait prendre conscience : Les membres de ce groupe de rock emblématique du combat écoresponsable ont été confrontés à une aberration dont ils se sont rendu compte à l’issue d’un de leurs concerts ; en dépit des messages écologiques que véhiculent chacun de leurs shows, les lieux où ils se produisaient étaient systématiquement jonchés de gobelets et de bouteilles en plastique. De là leur est venue l’idée de Freaks : un collectif écoresponsable dont Mathias fait partie, et qui n’a vocation qu’à orienter ceux qui le souhaiteraient vers une consommation plus responsable et plus durable. Un message nullement moralisateur, mais qui prône au contraire les petits gestes anodins, exécutables à l’échelle des moyens de chacun. Une revisite de l’allégorie du colibri en somme…
Et Mathias d’enchaîner avec cette histoire : D’une forêt en flamme s’enfuient des centaines d’animaux paniqués, qui se piétinent allégrement et se meuvent de façon totalement déraisonnée. Au-dessus d’eux, un minuscule colibri vole à contre-sens, tenant délicatement dans son bec une goutte d’eau prélevée du lac le plus proche. Tous le regardent étonnés, et commencent à le railler : « Mais que crois-tu pouvoir faire avec cette ridicule goutte d’eau ? Tu n’ambitionnes tout de même pas de sauver notre forêt avec ça ? ». Et le petit colibri de leur répondre : « Certes, mais si chacun d’entre vous faisait comme moi, à nous tous, nous pourrions sinon éteindre le feu, du moins en ralentir sa progression ». Une jolie histoire qui lui fait faire le parallèle avec ses amis : « Y a des gens comme Freaks, comme vous (ndlr : l’équipe Déco Green) qui essayent de faire des choses, et ce ne serait pas courageux que de ne pas s’en émerveiller […] y aura toujours des gens pour s’en foutre, mais l’important c’est qu’il y ait des résistants écolos ; cela a bien plus de valeur que les grandes mesures ».
L’interview touche à sa fin. Nous abordons alors son actualité artistique : Si la crise sanitaire a eu de néfastes répercussions sur ses différentes créations, et notamment la sortie en salle du film « Une sirène à Paris », Mathias qui est un artiste hyperactif et hyper-productif, s’est investi en parallèle dans d’autres projets ; l’écriture d’un roman sur l’enfance de son père durant la 2nd guerre mondiale ainsi qu’une possible adaptation en long métrage, l’édition d’un recueil poétique « Le dérèglement joyeux de la métrique amoureuse » écrit à quatre mains avec Daria, et la reprise peut-être en avril 2021 de la tournée avec son groupe Dionysos.
Avant de quitter son appartement, Mathias tient absolument à nous montre quelque chose : une édition tirée en très peu d’exemplaires des cahiers manuscrits de Boris Vian dont il est un grand admirateur ; c’est le premier auteur à lui avoir donné envie de lire et d’écrire. Alors quand en début d’année la ville de Paris le lui a demandé, c’est tout naturellement qu’il a accepté d’être le parrain du centenaire de son héro littéraire.
Nous partons enfin, la tête pleine de l’univers de Mathias Malzieu ; l’esprit farci d’anecdotes en tout genre, et le cœur bombé par la certitude qu’à notre échelle, à celle de cette petite chaîne YouTube qu’est Déco Green, nous venons grandir les rangs de la résistance écologique, comme autant de petits colibris s’affairant autour d’un désastre annoncé, sans jamais renoncer pour autant.

Pour voir l’interview complète de Mathias Malzieu, rendez-vous sur la page YouTube de Caroline Munoz :
https://youtu.be/EHJpWirlPAQ
Et pour ceux qui préfèrent l’écouter en podcast, c’est par ici :
https://anchor.fm/deco-green/episodes/Ep02—Mathias-Malzieu–lallgorie-du-colibri-emoh8t