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Lampe Pipistrello : la belle rebelle italienne

Ce 17 décembre, j’aurais pu choisir de vous poster un petit billet d’humeur concernant notre président atteint par la Covid… J’aurais pu sinon, vous faire un article sur The Simpson, dont le premier épisode était diffusé sur la Fox il y a tout juste 31 ans. Nous aurions pu aussi évoquer la naissance en 1770 du génie de la musique classique Ludwig van Beethoven, ou bien de départ regretté de la voix de velours capverdienne Cesaria Evora, en 2011…

Mais avant d’être un 17 décembre, nous sommes surtout jeudi. Et le jeudi, avec mon associée Caroline, nous avons une petite tradition, le repost des vidéos Throwback Thursdays de notre chaîne YouTube : la remise en ligne d’anciennes vidéos que vous avez plébiscité sur Déco Green. Et une de vos vidéos préférées concerne un objet de design intemporel : la lampe Pipistrello, par Gae Aulenti (1965).

Comment pourrait-on qualifier le design ? Un mélange de praticité et de recherche esthétique ? La matérialisation d’un mouvement de pensée ? Une action artistique révolutionnaire ? Une démarche philosophique humaniste ? Peu importe le sens qu’on lui porte, le design a généré bons nombres de concepts devenus iconiques, et déclinés par les industriels du monde entier.

Et même sans être un expert du design, il y a quelques noms qui résonnent familièrement en nous. La lampe Pipistrello en fait partie. Serait-ce dû à sa présence dans de nombreux films des années 70, et même plus récemment dans des films comme Jour J ou Un Plan parfait ? Ou bien serait-ce grâce au talent précurseur et visionnaire de sa créatrice : la designeuse surdouée Gae Aulenti ?

Cette architecte de formation, née en décembre 1927 en Italie, dans un petit village du Frioul, a fait ses études supérieures à Turin. Dès qu’elle en a eu l’occasion, elle est allée à Milan pour étudier l’architecture au Politecnico. Elle en est ressortie diplômée en 1953 et a ouvert quelques temps plus tard sa propre agence. Rare représentante féminine d’un milieu majoritairement masculin, elle tardera à s’imposer à l’international, et devra cette notoriété tant convoitée à son fait d’arme le plus célèbre, la transformation de la gare d’Orsay en musée, entre 1980 et 1986 [qui lui vaudra en parallèle le réaménagement du Centre Pompidou, et l’honneur d’être faite chevalier de la légion homonyme par François Mitterrand en 1987, excusez du peu…].

Gae multiplie les casquettes, et d’architecte elle devient designeuse. Elle dira du design qu’il l’aide à mieux comprendre l’espace intérieur dans sa totalité, dans la mesure où l’objet s’inscrit dans un lieu de vie (une maison, un hôtel, un restaurant…).

Dans les années 50, elle s’inscrit dans un mouvement architectural émergeant, en réaction à domination moderniste alors en vogue prônant la standardisation et le fonctionnalisme des formes : le Neoliberty. Ce style qui s’inspire davantage du caractère aléatoire et de la circonvolution des éléments, repose sur une recherche culturelle et historique des valeurs architecturales du passé ; une sorte d’hommage nostalgique à l’Art nouveau. Ces valeurs-là, le travail de Gae y restera fidèle toute sa vie durant.

C’est à cette même époque qu’elle entame de nombreuses collaborations avec des fabricants de renom, notamment Martinelli Luce chez qui elle designera sa célèbre lampe Pipistrellochauve-souris en italien – en 1965.

Alors pourquoi cet objet est-il devenu iconique ? Comment a-t-il pu traverser les générations pendant près 55 ans sans prendre une ride, et sans tomber en désuétude ?

Le principe même de créer un objet sous l’égide Neoliberty le dispense par définition de passer de mode : rappelons que ce mouvement de pensée prône un retour à davantage d’authenticité, d’esthétisme, et à une forme d’art passée. L’intemporalité fait donc partie de l’ADN des objets qui en sont issus.

Ensuite, parce qu’elle est empreinte de cette volonté de réintégrer du beau, dans un univers qui se veut fonctionnel et standardisé ; ainsi, un objet aussi basique qu’une lampe à pied peut parfaitement se transformer en œuvre d’art, permettant à son heureux propriétaire de joindre l’utile à l’agréable.

Enfin, parce que malgré ses courbes esthétiques et sa forme générale d’une originalité folle, cette lampe reste en partie conçue pour son adaptabilité : pied télescopique, abat-jour en résine, tout est pensé pour une praticité optimale. Elle est aujourd’hui à jamais inscrite au panthéon des objets design iconiques, aux côtés des célèbres fauteuil Acapulco, lampe Arcos, chaise tulipe, ou encore Egg Chair

Gae Aulenti accède ainsi à une notoriété intemporelle, démocratisant la présence des femmes dans l’univers très masculin du design ; la richesse de son génie, elle le doit à l’éclectisme de ses passions. Si elle s’est intéressée à l’art sous toutes ses formes, elle dira du théâtre en particulier : « il m’a aidée à mieux comprendre le fond de la relation espace-temps ; l’architecture doit tenir compte de l’action théâtrale. La scénographie est une préparation à l’architecture fondamentale ». Autant d’influences non essentielles, sans lesquelles nous évoluerions dans un univers standardisé et dénué de réflexion.



Gae s’est éteinte le 31 octobre 2012, dans cette Italie qui l’a vue naître et briller ; mais son nom et son œuvre sont à jamais entrés dans la postérité.

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