Remontons la Presqu’Ile pour découvrir un quartier attenant : la Croix-Rousse et ses célèbres Pentes. Le sommet de cette colline culmine à 250 mètres de hauteur et s’étend du 4ème au 1er arrondissement de la ville. Surnommée « la colline qui travaille » (en écho à Fourvière toute proche, nommée « la colline qui prie »), elle est un haut lieu de l’industrie de la soie, et donc de l’Histoire lyonnaise.
Haut lieu historique de l’ère industrielle.

D’abords ce nom ; la Croix-Rousse. Il vient d’une véritable croix, taillée dans la pierre de Couzon, reconnaissable à sa couleur ocre typique, et érigée autour de 1512. A l’époque, Louis XII fait construire une fortification autour de la colline dans le but de protéger Lyon des invasions, isolant de fait le haut plateau de la Croix-Rousse (qui est alors un village à part entière, et non pas un quartier de la ville).
De cette croix détruite et reconstruite à plusieurs reprises, sa réplique trouve finalement son emplacement actuel en 1994, sur la Place Joannès Ambre.
Comme pour nos faubourgs parisiens, la Croix-Rousse fait partie de ces quartiers qui n’ont pas toujours été intégrés à la ville ; à l’origine, la colline était assimilée à Cuire, qui s’appelait alors Cuire-la-Croix-Rousse. En 1797, un décret du Conseil des Cinq-Cents – une assemblée législative post-révolutionnaire – décide de rattacher Cuire à Caluire (actuelle Caluire-et-Cuire), faisant de la Croix-Rousse un faubourg. Il faudra attendre 1802 pour qu’elle soit reconnue comme commune.

Au XIXème siècle, avec l’arrivée massive des Canuts, Lyon devient la première ville ouvrière de France : La Croix-Rousse connaît alors une densité de population sans précédent et voit sortir de terre masse de lotissements, qui prendront le nom de ces artisans spécialisés dans le tissage de la soie. Tout y est pensé pour optimiser le travail de l’étoffe : hauteur sous plafond (généralement 4 mètres) pour accueillir les métiers à tisser Jacquard, de grandes fenêtres pour laisser entrer un maximum de lumière le plus longtemps possible dans la journée, et une mezzanine aménagée en sous-pente pour permettre aux familles des artisans d’y vivre et d’y dormir. Le quartier se densifie donc, et de nombreuses rues voient le jour parfois de façon parfaitement anarchique. Cette partie de la ville se popularise et les conditions de vie des Canuts deviennent difficiles ; pour y remédier, un esprit de solidarité et de révolte émerge, donnant naissance aux premières initiatives syndicalistes et associatives qui vont à jamais imprégner la Croix-Rousse.
Focus sur : la révolte des Canuts.
Il existe en réalité plusieurs révoltes historiques de la classe ouvrière lyonnaise, les principales ayant eu lieu en 1831, 1834 et 1848. Les Canuts s’insurgent contre les conditions de travail et de rémunération de plus en plus difficiles. L’ère industrielle voit émerger la libéralisation de l’économie dont les répercussions sur les conditions de vie des travailleurs sont terribles :

les négociants compensent en effet les fluctuations du marché sur le salaire des artisans, sans compter les périodes où l’ouvrage vient à manquer – que les lyonnais appelle la « meurte » ou période creuse. Les tisserands sont alors en concurrence pour honorer les commandes, ce qui permet aux négociants de maintenir des salaires de plus en plus bas. De nombreux Canuts vont ainsi accumuler des dettes, allant parfois jusqu’à se faire expulser de leur logement faute de pouvoir en payer le loyer. De plus, un métier à tisser coûte cher à entretenir, car cela nécessite l’intervention de nombreux compagnons.
Un canut à l’œuvre devant sa fenêtre – vers 1890

La révolution industrielle signe également l’arrêt de mort d’une production autonome et solidaire, au profit d’une décentralisation de l’activité moins couteuse ; dorénavant, la quantité prime sur la qualité. Le métier se meurt, et c’est ainsi que vont avoir lieu les premières révoltes de Canuts. De ces révoltes va naître leur célèbre devise : « Vivre libre en travaillant, ou mourir en combattant ».
Le chant des Canuts – Georges Salendre – 1980

En 1852, la Croix-Rousse est enfin rattachée à la métropole lyonnaise, et devient officiellement un quartier de la ville. Dix ans plus tard, pour concrétiser cette union, la colline est percée pour permettre la mise en service du funiculaire de la rue Terme, ralliant le bas des Pentes au sud, au plateau de la Croix-Rousse au nord, avec un retard conséquent dû à un impondérable de taille (voir plus loin l’anecdote du Gros Caillou). De cette « Ficelle » – nom donné par les lyonnais à leur funiculaire – il ne reste que le tunnel converti en voie routière, et la gare inférieure qui accueille depuis 2015 l’Ecole Supérieure des Arts et Technologies de la Mode (ESMOD).


Presqu’un siècle plus tard, en 1952, un autre tunnel routier est percé aux pieds de la colline, ralliant cette fois-ci les quais de la Saône à l’ouest, à ceux du Rhône à l’est. Aujourd’hui la Croix Rousse est un quartier qui connait une des densités de population les plus importantes d’Europe.
Au bout des Pentes, la Bellevue.



S’étendant sur le premier arrondissement de la ville, les Pentes rallient la Place des Terreaux au pied de la colline, à la Place Bellevue sur son plateau. Tout ce quartier est en déclivité et certaines des rues qui le composent ont naturellement été rebaptisées « montées ». On retrouve ainsi la célèbre montée de la Grand’Côte, celle de Saint-Sébastien… Certaines de ces montées datent de l’époque romaine, comme la montée des Carmélites, ancienne Voie du Rhin, qui reliait Lugdunum (nom latin attribué à Lyon) à la Germanie. Les témoignages historiques ne manquent pas dans ce quartier. Ainsi sur cette même montée des Carmélites, on trouve un amphithéâtre antique, ancien sanctuaire fédéral des Trois Gaulles, érigé en 1200 avant Jésus Christ. Les célèbres traboules sillonnent les Pentes, ces fameux passages piétons par cours d’immeubles interposées, permettant de se rendre d’une rue à une autre, sans gravir tout un pâté de maisons en pleine déclivité. L’une des plus connues est probablement celle de la cour des Voraces, avec son impressionnant escalier de façade à 6 étages, permettant de passer du 9 place Colbert au 14 montée St-Sébastien ou au 29 rue Imbert Colomès.


De part sa contrainte géographique, le quartier des Pentes est majoritairement piéton ; les rues peuvent en effet y être abruptes, assez étroites, et les places de stationnement manquent indéniablement.
La vie associative et syndicale y est très riche, héritage des revendications et batailles Canuts du précédant millénaire. Le plateau lui, marque le début du 4ème arrondissement. Il est traversé de part en part par deux axes majeurs : la Grande rue de la Croix-Rousse du nord au sud, et le boulevard de la Croix-Rousse d’est en ouest. Ces deux axes donnent sur le parc du Gros Caillou, curiosité géologique témoignant d’un passé encore plus lointain de la région lyonnaise (voir paragraphe dédié). Isolé du reste de la ville grâce aux Pentes qui marquent une frontière physique, le plateau a su garder un esprit village, avec ses grandes places bordées de bistrots, et ses marchés quotidiens rythmant la vie de ce quartier résidentiel.
Le Gros Caillou : entre préhistoire et légende

On l’a évoqué, le Gros Caillou est indéniablement la curiosité locale la plus surprenante du quartier. Trivialement, il s’agit d’un énorme bloc de quartz datant de la glaciation de Riss, au quaternaire, c’est-à-dire entre 300.000 et 130.000 ans avant notre ère. Ce témoignage de l’étendue du mega glacier alpin qui recouvrait la région à l’époque, a été découvert lors de la percée de la trajectoire de la Ficelle :
les ouvriers se sont retrouvés nez-à-nez avec ce bloc impossible à détruire, engendrant un retard considérable dans les travaux. Finalement, ce bloc une fois extrait sera conservé et considéré comme un symbole de la ténacité des lyonnais face à l’adversité. Aujourd’hui, le Gros Caillou a trouvé sa place définitive au bout du boulevard de la Croix-Rousse, et jette un regard nostalgique sur le Rhône et sur sa chaîne alpine natale.
De nombreuses légendes ont accompagné ce Gros Caillou, la plus connue étant probablement celle de l’huissier au cœur de pierre : un jour, par cupidité, un huissier jeta toute une famille de Canuts (mari, femme enceinte et enfant de 3 ans) à la rue pour récupérer leur bien immobilier dont ils avaient du mal à s’acquitter. Dieu, l’ayant pris sur le vif, décida de transformer son cœur en grosse pierre, laquelle par sa lourdeur roula en dehors de sa poitrine et tomba au sol. Il lui intima alors de la faire rouler à travers les rues de la ville de Lyon, lui expliquant que le charme serait rompu dès qu’il aurait croisé en chemin quelqu’un au cœur encore plus dur que le sien. L’huissier s’exécuta et déplaça ainsi péniblement son cœur de pierre à travers les rues de la ville, lequel devenait de plus en plus gros et lourd au fur et à mesure de sa progression. Ne trouvant personne d’aussi cruel et d’aussi insensible que lui, il se résigna à faire demi-tour et à regagner ses appartements de la Croix-Rousse. Arrivé en haut de la colline, la pierre s’immobilisa enfin, et l’huissier retrouva son organe de chair au sein de sa poitrine : il était effectivement revenu à son point de départ, devant le bâtiment des régisseurs de la Croix-Rousse ! Les plus méchants que lui étaient depuis le début sous son nez : il s’agissait de ses employeurs, commanditaires de ses services d’huissier, dépourvus d’humanité.

Découvrir la Croix-Rousse en se bambanant*…
*…en se quoi faisant ? « Se bambaner » signifie tout simplement « se promener », en parler lyonnais !
Le Village de la Croix-Rousse, en partenariat avec le journal local « La Croix-Roussienne », proposait l’été dernier un mini fascicule gratuit, à disposition aux comptoirs de chaque bistrot du quartier. Outre le fait d’y dresser une liste non-exhaustive des établissements gastronomiques du plateau, on y trouvait également une proposition de parcours pédestre, et donc gratuit, afin de découvrir l’histoire du 4ème arrondissement de Lyon, des Canuts, « la beauté et l’esprit de cette colline, qu’on appelle Le Village ». Voici donc l’itinéraire proposé :


1) L’esplanade du Gros Caillou : et je vous en ai déjà parlé ! Le caillou a donné son nom à l’esplanade où il a trouvé sa place définitive, surplombant la ville basse et le massif alpin.

2) La plaque de Jean Moulin : le 21 juin 1943, Jean Moulin effectue son dernier trajet d’homme libre. Il se rend à la villa du docteur Dugoujon à Caluire, emprunte la Ficelle et sort par la gare d’arrivée située près de cette plaque.

3) Place de la Croix-Rousse : La place mythique du Faubourg de la Croix-Rousse qui a été rattaché à la ville de Lyon en 1852. A l’époque des remparts, la porte d’accès à Lyon était en haut de la rue des Pierres Plantées. Sur la place vous pouvez voir la statue de Joseph Marie Jacquard (1752-1834) inventeur de la mécanique qui porte son nom. Cette invention mécanise et facilite le travail des Canuts.



4) Rue d’Ivry – Maison des Canuts : à la fin du XIXème siècle, c’est le local syndical des ouvriers tisseurs et similaires.
Ce lieu retrace aujourd’hui cinq siècles d’histoire artistique, sociale et technique de la soierie Lyonnaise.


5) Place Bertone : La Croix-Rousse est urbanisée au XIXème siècle et de nombreux ateliers Canuts y sont construits, à l’image de ceux qui bordent cette place.

6) Place du commandant Arnaud : Du nom d’un Canut qui fut assassiné pour avoir refusé de prendre la tête d’un soulèvement orchestré par les anarchistes en 1870.
7) Soierie Vivante : Ancien atelier de passementerie d’Henriette Letourneau, Meilleure ouvrière de France. Les passementiers étaient appelés au XVIIIème siècle « tissutiers à la petite navette ».

8) Rue Hénon – Eglise Saint-Denis : Première église de la Croix-Rousse (commencée en 1624), elle est l’église des Canuts. A l’intérieur, une bannière réhaussée de fils d’or, offerte par la Corporation des Tisseurs de Lyon.

9) Mur des Canuts : Ce mur peint en trompe l’œil de 1200m2 est un des plus grands d’Europe. Il a été réalisé par la Cité de la Création et témoigne des transformations et de l’esprit du quartier.

10) L’Eglise Saint-Augustin : Construite de 1910 à 1912, la mosaïque au-dessus du portail évoque l’intérieur d’un atelier de Canut.
11) Parc de la Cerisaie : ancienne propriété du teinturier Gillet qui découvrit le procédé chimique pour teindre la viscose. La République Canut cultive aujourd’hui sa vigne dans ce parc.


12) Saint Bruno – Fresque de la porte de la Soie : Fresque présentant l’esprit des routes de la Soie.

13) Saint-Bruno-des-Chartreux : L’église de Saint-Bruno dont la construction a commencé en 1590 est la seule église baroque de Lyon.

14) Boulevard de la Croix-Rousse – Mairie de la Croix-Rousse : Deux plaques de commémoration évoquent l’action des Voraces et les révoltes des canuts de 1831 à 1834. A l’intérieur de la mairie se trouve un métier à tisser, équipé d’une mécanique Jacquard.
Autres lieux incontournables.
Le jardin Rosa Mir.

Situé au 83 de la Grande rue de la Croix-Rousse, c’est en fait une cour d’immeuble jalonnée de colonnes et de traverses, recouvertes de coquillages et de pierres savamment disposées. Cette mise en scène du jardin n’est pas sans évoquer les œuvres d’inspiration espagnole, comme celles de Gaudi par exemple.
Et pour cause : il s’agit là d’un aménagement opéré par un jeune carreleur, Jules Senis Mir (1913-1983), maçon ayant fui l’Espagne Franquiste, et qui s’était juré, s’il guérissait du cancer, de créer un jardin à l’effigie de sa mère Rosa Mir, ainsi qu’un autel à la gloire de la Vierge Marie. On y accède par l’impasse Viard, au niveau du 87 de la Grande rue de la Croix-Rousse.
Pour plus d’informations : 04.78.39.26.28
Site : rose.mir.free.fr
La Maison Brunet.

Vers 1810, la population se densifie à la Croix-Rousse avec l’arrivée massive des Canuts. Et il est urgent de faire sortir de terre des établissements pour les y faire vivre. C’est cette même année que l’architecte Brunet érige son œuvre la plus colossale : « la maison aux 365 fenêtres » – ou maison Brunet.
Sa volonté était de créer un bâtiment à l’image du temps tel que mesuré par l’homme, d’où les 365 fenêtres représentant les 365 jours de l’année. On y retrouve également 4 portes cochères pour les 4 saisons, deux fois 6 étages pour représenter les 12 mois de l’année, 52 appartements pour autant de semaines, le tout dans la plus pure tradition des appartements Canuts : hauteur sous plafond, hauteur des fenêtres, mezzanine en sous-pente. Mais la construction de cet édifice à coûté tellement cher à l’architecte qu’il a été obligé de le revendre avant même la fin du chantier. L’imposante stature de la bâtisse fera office de forteresse durant la révolte des Canuts, d’où son autre surnom de « forteresse du peuple ».
Le Théâtre de la Croix-Rousse.

Conceptualisé par Michel Roux Spitz, le théâtre de la Croix-Rousse est construit entre 1924 et 1929. Inauguré en 1931, il accueille alors toutes sortes de spectacles : théâtre bien sûr, mais aussi cinéma, bals, banquets, et même conférences.
En 1980, les murs sont investis par un collectif d’artistes-danseurs, et devient officiellement la Maison de la danse. Il reprend son rôle premier de théâtre en 1992, quand la Maison de la danse décide d’investir le théâtre du 8ème arrondissement. Aujourd’hui, l’établissement n’accueille plus personne, protocole sanitaire oblige, mais se tient prêt à proposer de nouveau à son public des spectacles aussi engagés qu’éclectiques. Le théâtre se situe sur la place Joannès Ambre, en face d’un rond-point accueillant la réplique de la célèbre Croix Rousse, ayant donné son nom au quartier et à la colline.
Cette liste est loin d’être exhaustive, il y a tant à découvrir à la Croix-Rousse ! J’aurais pu vous parler du célèbre Passage Thiaffait, constituant une traboule reliant la rue René Leynaud à la rue Burdeau ; j’aurais pu vous parler plus en détail de l’Amphithéâtre des Trois Gaules qui réunissait chaque année les délégations de 60 nations gauloises, et qui a été la scène du martyr de Sainte-Blandine-de-Lyon en 177 ; J’aurais pu m’étendre d’avantage sur le Parc Cerisaie qui accueille les vignes du Clos des Canuts, et sa Villa Gillet (du nom de la famille d’industriels à l’origine notamment de Rhône-Poulenc, qui l’édifia et y vécu) inscrite depuis 2015 au patrimoine des monuments historiques et véritable institution culturelle ; Nous aurions pu parler de l’Eglise St Polycarpe, construite au 18ème siècle et dont une des façades a été pensée par Toussaint Loyer, connu notamment pour avoir érigé le Dôme polémique de l’Hôtel Dieu de Lyon ; Ou bien de l’Eglise Saint Augustin, sortie de terre en 1851, soit moins d’un an avant le rattachement de la Croix-Rousse à Lyon ; J’aurais pu vous parler avec passion des célèbres bouchons lyonnais, où la cuisine se veut traditionnelle et généreuse, mais compte tenu de leur fermeture temporaire, cela aurait été du sadisme de ma part…
Vous l’aurez compris, Lyon me manque… Il me tarde de sortir de cette crise sanitaire pour aller arpenter les rues de la ville, à la recherche de nouveaux témoignages du passé qui m’auraient échappé ! Je suis avide de partage en ce qui concerne les expériences de chacun dans la capitale des Gaules ; aussi, ce serait un véritable bonheur que de lire vos avis et vos coups-de-cœur sur cette ville.
Bientôt, je vous parlerais d’un autre de ces passionnants quartiers lyonnais…
Pertinent, intéressant, et passionnément rédigé! Ça donne bien envie d’aller fouler le pavé lyonnais à la recherche d’indices historiques! Bravo pour cet article.
Je ne connais pas Lyon ….Mais j’ai hâte d’y aller pour découvrir la Croix-Rousse 🙏